Le Meaulnes, un Restaurant pas comme les autres

Je me souviens avoir mangé, il y a quelques années, dans un restaurant pas comme les autres. C’était à Paris dans une petite rue coincée entre le quai des Grands-Augustins et la rue Saint-André des Arts. Cette petite rue s’appelle Gît-le-Cœur. Elle se situe en plein Quartier Latin. Elle est si étroite que les voitures n’y ont plus place et le piéton y est roi. Ce restaurant, c’est le Meaulnes Restaurant.

L’originalité de ce restaurant apparaît très tôt ; par son aspect extérieur d’abord. Pas d’enseigne lumineuse ni de signes accrocheurs. Seul son nom, sur une petite plaque au dessus de la porte, révèle sa présence. Quelques fenêtres laissent bien entrevoir des tables et des mangeurs mais il faut y regarder à deux fois. Entrons.

Après avoir franchi la porte, trois marches descendent dans la salle. Celle-ci ne ressemble en rien à un restaurant. Elle suggère tout à la fois une librairie, une brocante, une salle de classe, une galerie de peinture ou une petite salle de lecture dans une bibliothèque. Le décor est charmant. Les tables et les chaises de bois sont simples, un peu anciennes. Des lampes de chevet et des appliques éclairent le tout d’une lumière discrètement tamisée. Des centaines de livres sont rangés sur plusieurs étagères et tables basses. Un projecteur de diapositives diffuse une image fixe ; c’est un paysage ni riant ni triste, un souvenir sans doute. Bien en vue, un tableau noir est couvert de mots : une phrase et la pensée du jour. Quelques draperies, enfin, donnent à la salle, un caractère légèrement exotique. Installons-nous.

Le Patron nous accueille et nous indique une table. Lui et son personnel font leur service calmement. Au Meaulnes Restaurant, on fait tout au fur et à mesure, sans stress ni précipitation. Si le client sait quant il entre, il ne sait pas quand il ressort. La soirée peut durer des heures. Mais on ne s’ennuie jamais. La carte est manuscrite et propose des dizaines d’entrées, des quantités de plats et des multitudes de desserts. Le choix n’est pas facile et l’on goûterait bien un peu de tout tant les descriptions sont poétiques et alléchantes. Le Patron règne en maître et seigneur sur son restaurant. C’est lui qui a fait la décoration, a placé les éclairages. C’est lui qui a pris les photos qui sont projetées. C’est lui qui est l’auteur des phrases et pensées du jour. C’est lui qui a conçu la carte. C’est lui qui surveille la salle et la cuisine et qui, au besoin, aide son personnel. Mais il règne également sur la clientèle. Commandons.

Bloc de papier en main, le Patron vient prendre la commande. Si un doute subsistait, c’est à ce moment là que l’on comprend que l’on n’est vraiment pas dans un restaurant habituel. Le client a passé une demie-heure au minimum à faire son choix sur la carte. Qu’à cela ne tienne, c’est de toute façon le Patron lui-même qui décide ce que mangerons ses hôtes. Il prend pourtant le temps d’entendre les préférences de chacun. Mais il corrige au fur et à mesure. Considérant la tête et les goûts de ses clients, il leur annonce sans équivoque ce qu’il va leur servir. En général, très peu de plats commandés seront servis tels quels. Il modifie au moins une sauce ou mélange le plat désiré à un autre plat de son choix. Plus souvent, il change tout. Mangeons.

Quelques dizaines de minutes après avoir commandé et l’appétit bien aiguisé, nous pensons pouvoir bientôt manger. Illusions. Au Meaulnes Restaurant où tout se fait au fur et à mesure sans stress ni précipitation, on sert chaque table l’une après l’autre. Il faut donc attendre. Là encore, le Patron a tout prévu. Tout au long des intermèdes précédant l’arrivée d’un plat le Patron apportera, une fois des paquets de centaines de cartes postales anciennes, une autre fois des livres de collection d’images d’Epinal. A un autre moment, il viendra raconter des histoires et anecdotes du vieux Paris. Plus tard dans la soirée, il philosophera volontiers autour d’un verre de vin rouge. Lorsque l’on demande à boire au Meaulnes Restaurant, on vous répondra immuablement : « Oui, tout de suite ». Le vin est servi très rapidement. Par contre, on ne voit jamais les carafes d’eau !

La cuisine est très soignée et raffinée. Il est minuit, nous n’avons pas vu le temps passer.
Plusieurs fois, j’ai voulu retourner au Meaulnes Restaurant ; je l’ai chaque fois trouvé fermé. Il faut dire que le Patron n’ouvre que quand il en a envie. Pas la peine de réserver donc.